CONCLUSION DU I : LIBERTÉ THÉRAPEUTIQUE, THÉORIE
DU COMPLOT, RELATIVISME ET SOCIÉTÉ FACILITATRICE, UN COCKTAIL DÉTONNANT
La liberté
thérapeutique est le mot d’ordre d’opposition radicale à une médecine
présentée comme « officielle », comme si ce seul fait la rendait
suspecte, et est partagé par nombre de praticiens de techniques thérapeutiques
non validées qui paraissent souvent échapper à la moindre rationalité[1].
Dans un pays comme le nôtre où la liberté
thérapeutique est de fait respectée, nous pouvons nous étonner de la violence
et de l’omniprésence de cette revendication, qu’il s’agisse des choix vaccinaux
ou du libre recours à toutes les thérapies présentes sur le marché,
fussent-elles ésotériques et douteuses.
Cette revendication s’inscrit dans le cadre
général de la théorie du complot
qui, comme nous l’évoquions, est l’un des arguments-phares de recrutement des
groupes sectaires, tous milieux confondus. Peter Knight, maître de conférences
en littérature américaine auprès de l’Université de Manchester, écrit dans son
ouvrage Conspiracy Theories in American
History : An Encyclopedia[2]
que cette théorie « se prétend cohérente et cherche à démontrer l’existence
d’un complot entendu comme le fait qu’un petit groupe de gens puissants se
coordonne en secret pour planifier et entreprendre une action illégale et
néfaste affectant le cours des évènements ». Couplée au « relativisme ambiant » dénoncé par
Jean-Pierre Jougla[3]
— pour lequel « tout se vaut », les superstitions devenant de facto aussi
valides que les sciences — et à la « société
facilitatrice » décrite par Marie-France Hirigoyen, psychiatre et
psychanalyste victimologue, dans son ouvrage Abus de faiblesse et autres manipula-
tions[4] —
selon laquelle nos contemporains n’ont jamais été autant disposés à croire tout
et n’importe quoi —, l’ensemble forme un cocktail
détonnant, un maelström au sein
duquel s’engouffrent ceux qui, comme le disait le Professeur Claude
Olievenstein, psychiatre français spécialisé dans le traitement de la
toxicomanie, font la rencontre de la mauvaise personne au mauvais moment, alors
même qu’un événement malheureux les a rendus particulièrement vulnérables.
Potentiellement nous tous.
Malheureusement,
nous allons voir que face à ce phénomène, la réponse des pouvoirs publics, qu’elle
soit administrative, disciplinaire, législative ou judiciaire, s’avère
globalement insuffisante. Mais nous allons également voir que cette réponse
peut être considérablement améliorée par la sollicitation d’un acteur-clef en
la matière : l’enquêteur de droit privé.
[1] Lors de
son audition devant la commission sénatoriale, le représentant du Centre d’information
et de conseil des nouvelles spiritualités (CICNS) a assimilé la revendication
de la liberté thérapeutique à la revendication de la fin de la lutte contre les
dérives sectaires conduite en France : « La liberté thérapeutique est mise en péril
par cette lutte tous azimuts contre les dérives sectaires par l’entremise de la
Miviludes. » Comme le CICNS, la Coordination des associations de particuliers
pour la liberté de conscience (CAPLC) fait de la liberté thérapeutique une
liberté fondamentale, si l’on en juge par les mots d’ordre affichés sur la page
d’accueil de son site : « Liberté de conscience - liberté de religion -
liberté thérapeutique - liberté de pensée - liberté de culte. » La conclusion
de la brochure de la CAPLC intitulée Les
« sectes » : un non-problème (2011) confirme ce glissement de la minorité
spirituelle à la minorité thérapeutique en assimilant la lutte contre les
dérives sectaires en France à la lutte contre « l’ensemble des mouvements non
conformistes tels que : le bio, le développement personnel, les mouvements
thérapeutiques et les groupes spirituels et religieux ». Pour en savoir plus
sur le CICNS et la CAPLC, voir l’annexe V, Deux
associations représentant les « nouveaux mouvements
spirituels » : CAPLC et CICNS.
[2] Peter Knight (2003), Conspiracy Theories
in American History : An Encyclopedia, Santa Barbara : ABC-CLIO, 925 p.
[3] Audition
de M. Jean-Pierre Jougla, coresponsable du diplôme universitaire Emprise sectaire, processus de vulnérabilité
et enjeux éthiques auprès de la faculté de médecine de l’université Paris V,
op. cit., p. 67.
[4]
Marie-France Hirigoyen (2012), Abus de
faiblesse et autres manipulations, Paris : JC Lattès, 300 p.
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