Partie 1


I – DÉRIVES THÉRAPEUTIQUES ET DÉRIVES SECTAIRES : DE MULTIPLES PRATIQUES, DE MULTIPLES TECHNIQUES DE DIFFUSION ET DE MULTIPLES RISQUES

« De l’épicier de quartier à la PME ou à la multinationale, il y en a pour chacun selon son appétit et ses compétences. » Ainsi Maître Daniel Picotin, avocat spécialisé en droit des dérives sectaires, résume-t-il la situation à l’occasion de son audition par la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, le 6 février 2013[1].
De la « simple » dérive thérapeutique à la redoutable dérive sectaire, le catalogue de ces « dévoiements » moraux, tels que les qualifie la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires[2], ne cesse de s’étoffer. Du groupe philosophique à la « secte », en passant par les PNCAVT (pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique), ces mouvances peuvent masquer — sous un voile hétéroclite — nombre de caractéristiques communes, tant au niveau de leurs techniques de diffusion que de leurs dangers.

A – TYPOLOGIE DES DÉRIVES THÉRAPEUTIQUES ET/OU SECTAIRES

            Protéiforme, multipolaire, national comme international, le risque thérapeutique et/ou sectaire est partout. Santé, enfance et éducation, vie publique et associative, vie professionnelle, spirituel, religieux, philosophie, art de vivre, développement personnel, « médecine » alternative ou complémentaire… état des lieux.

1-    Une notion floue : la « secte »

Comme le rappelle François Pignier, ancien président de chambre à la Cour d’appel de Paris et vice-président du Centre contre les manipulations mentales (CCMM), « en raison du principe de laïcité, c’est-à-dire de l’indifférence religieuse caractéristique du droit français républicain[3], il n’est pas possible de donner du terme secte une définition juridique »[4].
Alors qu’il n’est pas question pour les pouvoirs publics de rétablir un ordre moral antirépublicain, et après plusieurs tentatives infructueuses de définition ces dernières décennies — substantialiste, pragmatique, sociologique ou juridique —, nous constatons qu’il est délicat de jongler avec le principe de laïcité d’un côté et, de l’autre, la liberté d’opinion proclamée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et celle de pensée, de conscience et de religion issue de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (régulièrement rappelé au bon souvenir de l’État français par la Cour européenne des droits de l’homme).
C’est pourquoi nous ne retiendrons que deux définitions doctrinales : celle de François Pignier à l’occasion de la rédaction de son ouvrage Les dérives sectaires face au droit français, et celle de Jean-Pierre Jougla, coresponsable du diplôme universitaire Emprise sectaire, processus de vulnérabilité et enjeux éthiques auprès de la faculté de médecine de l’université Paris V.
La première est essentiellement analytique, et définit la secte comme « une association de personnes soumises à un chef incontrôlé, le gourou, qui s’emploie à inculquer une idéologie indiscutable au moyen de techniques manipulatoires dans un but de pouvoir ou de lucre »[5]. Selon M. Pignier, une secte se voit donc constituée des cinq éléments suivants : une association de personnes physiques, un chef absolutiste, une idéologie péremptoire, des manipulations spécifiques physiques et mentales, et une finalité de pouvoir ou d’enrichissement excessif.
La seconde définition part de la notion d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, dont le délit est réprimé par l’article 223-15-2 du Code pénal (issu de la loi du 12 juin 2001, dite « loi About-Picard », que nous détaillerons ultérieurement). Selon ses termes, la secte est un « mouvement portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, qui abuse de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique, créé, maintenu ou exploité, résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement pour conduire à un acte ou une abstention gravement préjudiciable »[6].
Bien qu’imparfaites, ces deux définitions permettent de distinguer les mouvements sectaires des associations libres, et complètent le travail du Père Jacques Trouslard — décoré de la Légion d’honneur en 2002 au titre de son action pour les victimes de sectes et décédé en 2011 —, à travers lequel la qualification de secte résulte des réponses aux trois interrogations suivantes :
-       le pouvoir, ou comment le gourou a-t-il été recruté (auto-proclamation ou élection) ?
-       le savoir, ou l’idéologie professée par la secte aboutit-elle à une emprise totale ou non ?
-       l’avoir, ou comment sont récoltés les fonds et à qui profitent-ils (transparence ou opacité) ?
Constatant ainsi que le mot « secte » utilisé dans le langage courant demeure une notion de fait potentiellement polémique et qu’il n’existe aucun texte de loi interdisant l’appartenance à l’une d’entre elles, la Miviludes (voir encadré) a orienté son action autour de la notion plus pragmatique — mais toujours non juridique — de « dérive sectaire ».

La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)

La Miviludesa, instituée auprès du Premier ministre par un décret du 28 novembre 2002b, est chargée de :
1° D’observer et d’analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ou constituent une menace à l’ordre public ou sont contraires aux lois et règlements ;
2° De favoriser, dans le respect des libertés publiques, la coordination de l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre de ces agissements ;
3° De développer l’échange des informations entre les services publics sur les pratiques administratives dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires ;
4° De contribuer à l’information et à la formation des agents publics dans ce domaine ;
5° D’informer le public sur les risques, et le cas échéant les dangers, auxquels les dérives sectaires l’exposent et de faciliter la mise en œuvre d’actions d’aide aux victimes de ces dérives ;
6° De participer aux travaux relatifs aux questions relevant de sa compétence menés par le ministère des affaires étrangères dans le champ international.
Pour réaliser ses missions, elle est rendue destinataire par les différentes administrations concernées des informations que celles-ci détiennent sur les mouvements à caractère sectaire. Elle peut également saisir les services centraux des ministères de toute demande tendant à la réalisation d’études ou de recherches dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires. Elle diffuse régulièrement à ces services la synthèse des analyses générales effectuées sur le sujet.
Elle leur signale les agissements portés à sa connaissance qui lui paraissent pouvoir appeler une initiative de leur part. Si ces agissements sont susceptibles de recevoir une qualification pénale, elle les dénonce au procureur de la République et avise de sa dénonciation le garde des sceaux, ministre de la justice.
Sous l’autorité de son Président, nommé pour trois ans, la Miviludes est constituée d’une équipe permanente interdisciplinaire dirigée par un secrétaire général, magistrat de l’ordre judiciaire. Elle est composée de conseillers mis à disposition par tous les ministères concernés par la politique publique de lutte contre les dérives sectaires : intérieur, justice, santé, économie et finances, éducation nationale, affaires étrangères.
Le Président de la Miviludes préside également deux instances collégiales, réunies tous les deux mois :
- un comité exécutif qui réunit les représentants des différentes grandes directions des ministères concernés ;
- un conseil d’orientation, composé de 30 membres, nommés par arrêté du Premier ministre : parlementaires, représentants de la fonction publique, du mouvement associatif, du monde médical ou du secteur économique et social.
Un rapport est remis chaque année par son président au Premier ministre. Il est ensuite rendu public.
Au niveau local, elle participe aux réunions des groupes de travail mis en place par les préfets.
Elle dispose enfin de correspondants régionaux, qui sont chargés d’assurer le suivi de ces questions et de contribuer à la sensibilisation des agents et à l’information des usagers.

a Elle a succédé à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), créée en 1998, qui, elle-même, a pris la place de l’Observatoire interministériel sur les sectes, instituée en 1996.
b Décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.


2-    De la « secte » à la « dérive sectaire »

La Miviludes, qui reçoit environ 2000 signalements par an, définit la dérive sectaire sur la base de son expérience de la manière suivante : « La dérive sectaire est un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes, à l’ordre public, aux lois ou aux règlements. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société. »[7]
Il s’agit donc d’un concept opératoire, permettant de déterminer un type de comportements bien précis qui nécessitent une réaction de la part de la puissance publique. Afin de les détecter, la Miviludes utilisent plusieurs critères d’identification, initialement dégagés par les Renseignements généraux, puis complétés par les commissions d’enquête parlementaires dédiées au phénomène :
-       la déstabilisation mentale ;
-       le caractère exorbitant des exigences financières ;
-       la rupture avec l’environnement d’origine ;
-       l’existence d’atteintes à l’intégrité physique ;
-       l’embrigadement des enfants ;
-       le discours antisocial ;
-       les troubles à l’ordre public ;
-       l’importance des démêlés judiciaires ;
-       l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ;
-       les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.
La Miviludes précise enfin qu’un seul critère ne suffit pas pour caractériser l’existence d’un risque de dérive sectaire et que tous les critères n’ont pas la même valeur. Cela étant, le premier (la déstabilisation mentale) s’avère toujours présent dans les cas de dérives sectaires.
C’est donc de la combinaison de plusieurs critères que naît la concrétisation d’un risque sectaire, sévissant dans nombre de domaines, à commencer par celui de la santé.

3-    Le domaine de la santé : terreau principal des dérives

À elles seules, les dérives sectaires dans le monde de la santé représentent 25 % de l’ensemble des signalements reçus à la Miviludes[8] et 50 % des affaires en traitement à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ)[9].
Face à leur inquiétante recrudescence, la Miviludes a édité un guide spécial en avril 2012 intitulé Santé et dérives sectaires, « destiné à aider à repérer les situations de danger et à proposer des outils pratiques pour pouvoir réagir en conséquence, au soutien des victimes »[10]. Georges Fenech, alors président de la Miviludes et ancien juge d’instruction[11], préface par ces mots : « Ce phénomène est préoccupant par le nombre de victimes, la plupart du temps en situation de grande vulnérabilité. Ainsi, régulièrement, les tribunaux correctionnels condamnent des charlatans de la santé pour homicide involontaire, non-assistance à personne en danger, risque causé à autrui, escroquerie, exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, abus frauduleux de l’état de faiblesse… ». Ce constat pessimiste est à rapprocher des estimations de la Miviludes, selon lesquelles :
-       4 Français sur 10 ont recours aux médecines dites alternatives ou complémentaires (dont 60 % parmi les malades du cancer) ;
-       400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique sont proposées ;
-       1 800 structures d’enseignements ou de formation sont « à risques » ;
-       4 000 « psychothérapeutes » autoproclamés n’ont suivi aucune formation et ne sont inscrits sur aucun registre ;
-       3 000 médecins seraient en lien avec la mouvance sectaire.
Serge Blisko, actuel président de la Miviludes et médecin de profession, et Annie Guibert, présidente du CCMM[12], rappellent qu’il est nécessaire de distinguer les dérives proprement sectaires, qui s’accompagnent toujours d’un mécanisme d’emprise mentale[13], des dérives « simplement » thérapeutiques — les fameuses PNCAVT, dont les praticiens peuvent sincèrement croire en leur bienfait, sans toutefois garantir leur innocuité ni l’absence de dévoiement des pratiques médicales éprouvées. La dérive thérapeutique ne devient donc sectaire que lorsqu’elle essaie de faire adhérer le patient à une croyance, à un nouveau mode de pensée ; autrement dit, lorsqu’elle s’accompagne « d’un mécanisme d’emprise mentale destiné à ôter toute capacité de discernement au malade et à l’amener à prendre des décisions qu’il n’aurait pas prises autrement »[14].
Sachant que les liens entre ces deux types de dérives sont ténus, la maladie étant « une porte d’entrée facile pour les mouvements à caractère sectaire qui profitent de la souffrance ou de l’inquiétude des malades et de leur famille pour mieux installer leur emprise »[15], la Miviludes s’emploie à mettre en place une vigilance sans faille face à la multitude des pratiques proposées[16].
Alerté par ce phénomène exponentiel, le Sénat a créé, à l’initiative du groupe RDSE, la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, et ce, afin de prendre la mesure des risques dus à des comportements sectaires qui font de la santé l’amorce d’une emprise exercée sur les victimes. Le Sénat a ainsi relayé le rapport du Comité d’orientation en matière de médecines complémentaires de mai 2012[17], ainsi que celui de l’Académie nationale de médecine de mars 2013, ayant l’un comme l’autre pris acte de l’insertion des thérapies dites « complémentaires » dans les hôpitaux, et ayant rappelé que cette dernière ne peut présenter « un réel intérêt [que] si elle est comprise non comme une reconnaissance et une valorisation de ces méthodes, mais comme un moyen de préciser leurs effets, de clarifier leurs indications et d’établir de bonnes règles pour leur utilisation »[18]. Pour les académiciens, il est ainsi primordial que ces pratiques restent à leur « juste » place, derrière la médecine basée sur des méthodes scientifiques.
De son côté, la commission d’enquête sénatoriale a livré son constat dans son rapport d’information n° 480 du 3 avril 2013 Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger[19], et formulé 41 propositions après 72 auditions au cours desquelles elle a entendu associations de victimes, professionnels de santé, experts et représentants d’autorités sanitaires ainsi que des principales administrations concernées. Elle a aussi souhaité entendre des représentants d’organismes et d’associations faisant la promotion de pratiques thérapeutiques sur lesquelles son attention a été alertée.
Ayant d’abord constaté que la maladie et la quête du bien-être pouvaient exposer au risque de dérive sectaire, la commission a observé l’existence de dérives thérapeutiques dues à des pratiques commerciales proches de la charlatanerie, qui exploitent les peurs et les attentes de la population en matière de santé et de bien-être, et qui peuvent insidieusement orienter leurs victimes vers des pratiques thérapeutiques souvent dénuées de fondement scientifique, compromettant ainsi leurs chances de guérison.
La commission s’est ainsi inquiétée du fait que ces deux phénomènes — dérive sectaire et dérive thérapeutique — en se combinant, cumulent les dangers liés à une forme d’emprise et les risques dus à l’exploitation mercantile de la crédulité de personnes vulnérables.
De manière générale, la commission a jugé très alarmant le fait que l’image de la médecine classique, altérée ­— de manière compréhensible — par des scandales récents, puisse conduire des personnes atteintes de pathologies lourdes à s’interroger sur les propositions thérapeutiques de leur médecin pour s’en remettre à des pratiques de « soins », sans nécessairement disposer d’une information complète sur les conséquences de leur choix.


Il est manifeste que le recours aux PNCAVT est devenu de plus en plus fréquent. Il s’agit dans la majorité des cas de pratiques qui ont pour socle le discours d’un personnage emblématique (qui dans bien des cas possède toutes les caractéristiques du gourou), bien souvent doublé de méthodes inspirées du courant New Age[20]. Ces pratiques sont en général mises en œuvre par des non médecins qui n’ont bénéficié d’aucune formation académique. Il n’en reste pas moins que certains médecins de formation sont parfois tentés d’utiliser ce type de procédés, n’hésitant pas à se faire radier de l’ordre pour pouvoir « exercer » sans risque de sanctions ordinales.
L’ensemble des pratiques non conventionnelles est constitué de méthodes présentées comme de véritables pratiques de soins par leurs concepteurs ou promoteurs. Très différentes les unes des autres (tant par leurs techniques que par leurs fondements théoriques ou références idéologiques), leur point commun est de ne pas être reconnues, au plan scientifique, par la médecine conventionnelle, et donc de ne pas être enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.
Ainsi n’y a-t-il qu’un pas entre la dérive strictement thérapeutique et la dérive sectaire dans le monde de la santé. Nous allons voir que d’autres milieux sont aussi frappés par ce phénomène.

4-    Les autres types de dérives sectaires

Nous l’avons vu, le terreau principal actuel des dérives sectaires est le monde de la santé. Mais notons que la commission d’enquête parlementaire qui s’est penchée sur le sujet n’en était pas moins que la quatrième (la première au Sénat) concernant le phénomène sectaire. C’est dire si l’enjeu est grand.
La commission sénatoriale nous rappelle en effet que « tout ceci pourrait être considéré comme relevant de la sphère, juridiquement protégée, du libre choix des personnes, voire de leur liberté de conscience », mais que « les pouvoirs publics ont néanmoins le devoir de protéger les citoyens contre ceux qui abusent de leur faiblesse ou compromettent leurs chances de guérison, voire de survie »[21].
Avant le rapport sénatorial de 2013, trois autres commissions d’enquête (issues de l’Assemblée nationale) avaient déjà œuvré :
1. Les massacres des membres de l’Ordre du Temple Solaire en 1994 et 1995, au Canada, en Suisse et en France sont à l’origine de la première commission d’enquête parlementaire consacrée aux sectes, qui publia son rapport Les sectes en France le 22 décembre 1995[22].
Il présente une vue globale du phénomène sectaire et des dangers qu’il représente. Il reprend notamment l’évaluation faite par les Renseignements généraux, à partir d’un faisceau d’indices établi sur la base de critères de dangerosité, et établit une liste de 172 groupes répondant à au moins un de ces critères. Le rapport observe en outre une tendance à l’expansion du phénomène.
En termes de méthodes de travail, la commission d’enquête a décidé de placer sous le régime du secret l’ensemble des auditions auxquelles elle a procédé « afin de permettre la plus grande liberté de parole aux personnes dont elle solliciterait le témoignage ». Ainsi, la liste des personnes auditionnées et le compte rendu des auditions n’ont pas été annexés au rapport de la commission.
La commission d’enquête a réalisé 20 auditions de responsables administratifs, médecins, juristes, hommes d’Église, représentants d’associations d’aide aux victimes, anciens adeptes et dirigeants d’associations considérées comme sectaires.
2. En 1999, une deuxième commission d’enquête parlementaire étudie l’ampleur de la dimension prise par les dérives sectaires dans les domaines économique et financier. Le rapport de la commission d’enquête rendu le 10 juin, intitulé Les sectes et l’argent[23], s’attache à montrer qu’ « au-delà d’un discours d’inspiration ésotérique ou religieuse […], le phénomène sectaire s’appuie sur une organisation destinée à assurer l’opacité et la rentabilité de ses activités » et sur des pratiques frauduleuses.
Comme la première commission d’enquête, celle de 1999 a appliqué la règle du secret afin de laisser une grande liberté de parole aux personnes auditionnées, tout en précisant ne pas méconnaître « les critiques formulées, notamment par un certain nombre de défenseurs des mouvements sectaires, à l’encontre du choix similaire fait par la commission d’enquête de 1995 ». Cette commission a procédé à 48 auditions. Ont notamment été entendus des responsables administratifs, des magistrats, des universitaires, des chercheurs, des acteurs de la vie économique (responsables d’entreprise et salariés) et des représentants d’organismes d’aide aux victimes ainsi que des responsables de mouvements mis en cause. La commission d’enquête a adressé un questionnaire à une soixantaine d’entre eux.
3. En 2006, une troisième commission d’enquête parlementaire se consacre « à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs ». Intitulé L’enfance volée, les mineurs victimes de sectes et publié le 12 décembre 2006[24], le rapport montre que les enfants sont une proie facile pour certaines organisations et constate que les administrations concernées sont engagées de manière inégale dans la lutte contre l’influence des mouvements à caractère sectaire sur les mineurs.
65 personnes ont été auditionnées par la commission d’enquête. 40 de ces auditions ont été ouverte à la presse. Le régime du huis clos a néanmoins été appliqué aux auditions de victimes de sectes qui en ont fait la demande. Afin de respecter le principe du contradictoire, la commission d’enquête a adressé un questionnaire à de nombreuses organisations considérées comme sectaires. Enfin, le rapporteur a fait usage des pouvoirs de contrôle sur place, pour vérifier les conditions dans lesquelles était assurée l’instruction à domicile auprès des enfants de la communauté de Tabitha’s Place dans les Pyrénées-Atlantiques.

Notons qu’avant ces commissions parlementaires, un premier travail d’enquête avait déjà été effectué par le député Alain Vivien, le Premier ministre de l’époque — Pierre Mauroy — lui ayant commandé un rapport dès 1982, achevé en 1983 et rendu public en 1985, intitulé Les sectes en France : expressions de la liberté morale ou facteurs de manipulations ? (aussi connu sous le nom Rapport Vivien)[25].
Le travail de M. Vivien présentait déjà une photographie du phénomène sectaire et en analysait les principaux aspects tout en formulant un certain nombre de propositions. Il a ainsi eu le grand mérite de constituer la première étude approfondie et objective sur les dangers des sectes, et d’alerter les pouvoirs publics et l’opinion sur une réalité jusque-là fort mal connue. Cela étant, les mesures qu’il préconisait étant pour la plupart, malgré leur intérêt et leur simplicité, restées lettre morte, le phénomène sectaire a continué de prospérer jusqu’aux commissions parlementaires susvisées, et même au-delà, puisqu’il perdure encore aujourd’hui.

Nous pouvons tirer de ces différents travaux (commissions parlementaires et rapport Vivien) une classification des mouvements sectaires, elle-même basée sur la démarche suivie par les Renseignements généraux. Cette classification consiste à rattacher chaque mouvement étudié à une « famille » de pensée ou de pratique. Treize qualificatifs ont ainsi été retenus pour procéder au classement, qu’il convient, pour la clarté de l’analyse, de préciser brièvement :
-       Les groupes « New Age » :
Ce qualificatif regroupe les organisations qui se réclament du courant néo-spiritualiste se référant à l’absolu comme « conscience-énergie »[26] et mettant en œuvre différentes techniques pour connecter l’adepte avec cet absolu.
Comme nous l’évoquions, les PNCAVT intègrent bien souvent des éléments issus de cette mouvance[27].
-       Les groupes « alternatifs » :
Ils proposent en général une organisation différente des circuits économiques, du mode de production, du commerce mondial ou des rapports humains.
-       Les groupes « évangéliques » et « pseudo-catholiques » :
Sont regroupés sous ces qualificatifs les mouvements qui, tout en se référant à la tradition chrétienne (protestante dans un cas, catholique dans l’autre) sont réunis autour de personnes (pasteurs, anciens prêtres) développant une attitude de gourou. Dans le cas des groupes pseudo-catholiques, leur doctrine s’avère souvent suffisamment éloignée de la théologie de l’Église pour qu’ils se trouvent exclus de sa communion.
-       Les mouvements « apocalyptiques » :
Tous prédisent un prochain cataclysme mondial, se référant soit à l’Apocalypse de Saint Jean, soit à la doctrine hindouiste des cycles, soit plus récemment au compte long du calendrier maya (le fameux 21 décembre 2012 et sa fin du monde avortée).
-       Les mouvements « néo-païens » :
Alors que dans la perspective chrétienne, les païens sont les membres des peuples n’ayant pas été atteints par la prédication chrétienne ou l’ayant refusée, la notion de néo-paganisme renvoie, elle, à celle d’hommes se référant à d’autres dieux que celui de la Bible.
Les mouvements néo-païens se réfèrent le plus souvent aux mythologies celtiques ou nordiques, voire à l’animisme.
-       Les mouvements « sataniques » :
Ces mouvements ont pour point commun de rendre un culte à « l’Adversaire » de la tradition biblique, Satan, dans une démonologie foisonnante.
-       Les mouvements « guérisseurs » :
On peut qualifier de guérisseuses les théories professant un mode de guérison non reconnu par la science médicale actuelle. La plupart des PNCAVT en sont la manifestation.
Le degré de dangerosité de ces théories varie suivant qu’elles complètent ou se substituent à des techniques scientifiques, ou qu’elles entraînent ou non des interactions avec des substances actives prescrites par des médecins.
Les mouvements guérisseurs sont extrêmement divers.
-       Les mouvements « orientalistes » :
On regroupe sous ce qualificatif une extrême diversité de mouvements se référant, tout en les dévoyant, aux religions et doctrines métaphysiques orientales, tel le bouddhisme, l’hindouisme ou le taoïsme.
-       Les mouvements « occultistes » :
L’occultisme se définie couramment comme la croyance en l’existence et en l’efficacité de pratiques qui ne sont pas reconnues par la science ni par les religions, et qui requièrent une initiation particulière. L’alchimie, l’astrologie, la cartomancie, la chiromancie, la divination, la magie, la nécromancie, la radiesthésie et la télépathie en font traditionnellement partie.
Alors que l’ésotérisme postule l’existence d’une tradition primordiale de l’Homme qui ne lui aurait pas été révélée et qui ne peut être connue que par l’enseignement, l’occultisme est la recherche de pouvoirs magiques initiatiques. Il existe néanmoins d’innombrables passerelles entre les deux courants qui autorisent certains à parler d’un courant d’ésotéro-occultiste.
Pour ceux-ci, l’Homme est formé de trois principes (le physique, l’astral et le divin) dont l’équilibre a été rompu, et qu’il convient de restaurer par l’initiation, qui permet de rétablir un lien entre le visible et l’invisible, ce que l’on perçoit et ce qui échappe aux sens.
-       Les mouvements « psychanalytiques » :
Difficile à cerner, le mouvement psychanalytique développe diverses techniques parapsychologiques prétendant guérir l’inconscient de traumatismes divers.
-       Les mouvements « ufologiques » :
L’ufologie est la croyance en la pluralité des mondes habités et en la réalité des visiteurs de l’espace : elle postule en d’autres termes l’existence d’extraterrestres.
-       Les mouvements « syncrétiques » :
Est regroupé sous le terme syncrétique l’ensemble hétérogène des mouvements présentant une synthèse entre les différentes religions, y compris primitives, voire entre les traditions orientale et occidentale.
Ce courant est composé de mouvements extrêmement divers.

Dans l’hypothèse — très fréquente — où des groupes ne peuvent être rattachés à un unique courant de pensée, il convient de compléter le type « dominant » à un type « associé », en soulignant que le type dominant retenu sera toujours celui présentant le plus fort degré de dangerosité.
Issue des différents travaux susvisés, cette analyse pourrait aujourd’hui se voir complétée par une quatorzième « famille », à savoir les mouvements « islamistes violents » ou « salafistes djihadistes » — cruellement d’actualité —, qui placent l’usage de la violence « comme moteur d’action et de finalité » à la réalisation des objectifs islamistes[28]. Ces mouvements ne se limitent pas au message politique de l’islamisme ou à son caractère missionnaire, mais prônent pour arriver à leurs fins l’usage de la violence et du terrorisme.
Nous verrons quelles techniques ces quatorze « familles » de mouvements utilisent pour parvenir à recruter, quelles formes d’organisation elles adoptent et quels multiples dangers elles présentent.

B – ORGANISATION, TECHNIQUES DE RECRUTEMENT ET DANGERS DES DÉRIVES THÉRAPEUTHIQUES ET SECTAIRES

            Alors que l’organisation et les dimensions du phénomène sectaire ont considérablement évolué ces dernières années, il en est de même des techniques de recrutement utilisées — prodigieusement favorisées par la sphère Internet — et des risques encourus, tant pour l’individu que pour la société dans son ensemble.

1-    Une atomisation du phénomène sectaire

Loin des grands groupes religieux ou prétendus tels de jadis, le phénomène sectaire se morcelle, se fragmente, se transforme graduellement en une myriade d’individus ou de microstructures plus ou moins organisées, unis par un axiome : un même niveau de danger.
Serge Blisko, président de la Miviludes, souligne ainsi qu’ « on assiste à un morcellement, voire à une atomisation, du phénomène sectaire où les grands groupes organisés, souvent de taille internationale, laissent progressivement la place à une multitude de petites structures dispersées sur l’ensemble du territoire national »[29]. Il s’inquiète de la recrudescence de ce qu’il qualifie les « nouveaux gourous » qui, même s’ils agissent seuls ou dans une zone géographique limitée, fonctionnent de plus en plus souvent en réseaux organisés, appliquant des méthodes similaires voire standardisées.
De son côté, Annie Guibert, présidente du CCMM, estime très préoccupante « l’éclosion [de cette] multitude de petites structures qui échappent aux garde-fous juridiques et professionnels, détournent les règles, [et] exploitent l’absence de réglementation et de contrôle ». Elle dénonce notamment ceux qu’elle appelle les « pseudo-praticiens », qui se parent de titres « plus ou moins ronflants », offrant de nouvelles méthodes, de nouvelles pratiques, exerçant seuls mais fonctionnant en « réseaux ramifiés », déployant « une véritable emprise mentale sur leurs "patients" pour souvent mieux les dépouiller de leurs ressources »[30].
Constatant cette atomisation sur le terrain, la commission sénatoriale confirme que coexistent dans la « nébuleuse sectaire » des mouvements comptant plusieurs centaines de milliers de membres et des groupuscules limités à quelques individus. Elle confirme également que certains groupes appartiennent à un réseau mondialisé, tandis que d’autres demeurent dans le périmètre d’une commune. Elle conclut enfin que le format qui semble dominer aujourd’hui est relativement éclaté[31]. Conclusion d’ailleurs partagée par Maître Daniel Picotin — avocat spécialisé en droit des dérives sectaires et président de la délégation régionale du CCMM « Infos-sectes Aquitaine » —, précisant lui-même que « plutôt qu’aux grandes structures […], la tendance est à l’éclatement en une multitude de gourous et de thérapeutes »[32].

2-    Les principales techniques de recrutement, aujourd’hui facilitées par la sphère Internet

« Internet est le canal de recrutement privilégié par les terroristes. Ils y ont affiné leurs techniques d’embrigadement. Ils en utilisent toutes les possibilités : sites d’apologie du terrorisme, forums, services de messagerie directe (Skype, WhatsApp), vidéos (YouTube, DailyMotion ou chaînes spécialisées), et même des sites de rencontres pour célibataires. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) sont utilisés pour prendre contact de proche en proche : ceux qui sont sur place en charge de recruter y postent des messages et y discutent avec ceux qui sont en France. Pour eux, Internet est le moyen de faire circuler massivement leur propagande et de proposer aux jeunes un discours adapté à ceux qu’ils veulent attirer dans leurs filets. »
Ainsi le site gouvernemental http://www.stop-djihadisme.gouv.fr/ décrit-il la propagande massive déployée sur Internet par les mouvements salafistes djihadistes.
Précurseurs dans l’utilisation du web pour la mise en place de leurs techniques de recrutement, les mouvements islamistes violents démontrent le potentiel de l’outil Internet comme arme de propagande. Des réseaux sociaux populaires au dark web[33] en passant par les forums ou autres blogs, l’ensemble des mouvements sectaires est à même d’utiliser la force de frappe numérique, et ce, aussi bien pour relayer leurs points de propagande traditionnels qu’en générer de nouveaux. Nous pouvons citer les suivants :
-       L’argument du complot et l’exploitation des peurs :
En matière de santé, la commission sénatoriale le reconnaît elle-même : l’image de la médecine classique, dont les indéniables progrès ont pourtant permis d’allonger considérablement l’espérance de vie, est aujourd’hui altérée par l’inquiétude et le « climat anxiogène » résultant de manière compréhensible des scandales les plus récents, comme celui du Mediator[34].
À ce propos, Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, fait remarquer que « les scandales comme celui du Mediator ont […] accentué la défiance du public à l’égard des médicaments, le précipitant massivement vers des solutions de remplacement parfois plus que douteuses », et que « le public oppose de plus en plus les médicaments (chimiques donc suspects à leurs yeux) aux plantes (naturelles donc supposément bénéfiques), [sachant que] cette distinction est absurde, car nombreux sont les médicaments à base de plantes »[35].
Sévissant dans nombre d’autres domaines que celui de la santé, cette défiance permet aux mouvements sectaires d’exploiter les inquiétudes et les peurs, et de se référer à un complot imaginaire pour justifier l’emprise exercée sur les adeptes. Le complot a du reste été élevé au rang de théorie ces dernières décennies, proposant ni plus ni moins d’offrir une vision de l’histoire perçue comme le produit de l’action d’un groupe occulte agissant dans l’ombre.
-       Le besoin narcissique du patient :
Propre aux dérives dans le milieu de la santé, ce besoin est défini par Jean-Pierre Jougla comme le « besoin [du patient] d’être pris en charge globalement, d’être au centre d’un processus ou même parfois simplement conforme à une mode ». Il reconnaît par ailleurs le manque d’écoute et les réponses parfois inadéquates du monde médical, poussant les personnes à « se tourner vers des charlatans dont la seule qualité est d’être des bonimenteurs et d’avoir cette empathie si nécessaire à chacun aujourd’hui »[36].
La commission sénatoriale constate à ce sujet que « le sentiment d’absence d’écoute et de prise en charge individuelle lié à l’organisation du système de soins elle-même et à ses dysfonctionnements incontestables est une réalité » et que « la prise en compte du bien-être du patient doit être intégrée aux protocoles de soins et aux objectifs des personnels administratifs, ainsi qu’à l’enseignement universitaire »[37].
-       La référence à un héritage millénaire :
Propre à nombre de mouvements sectaires, cette référence tend à rassurer l’adepte, tranquillisé par des siècles de pratiques prétendument bénéfiques, par ce que Catherine Picard, présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi), qualifie de « tradition basée sur l’héritage d’un seul maître, qui implique parfois un culte passéiste »[38].
-       Un habillage pseudo-technologique :
En plus de cette référence à la nature et à la tradition, de nombreux mouvements habillent paradoxalement leurs pratiques d’un flot d’arguments de vente pseudo-technologiques, voire pseudo-scientifiques, n’hésitant pas à revendiquer par exemple la double inspiration médecine chinoise-physique quantique.
-       Une allure respectable :
Pour inspirer confiance et simuler leur sérieux, certains mouvements feignent une véritable respectabilité :
• par l’usage de signes extérieurs tels que médailles et diplômes,
• par l’encadrement d’un environnement pseudo-institutionnel (« fédération », « ordre », « charte » ou « code de déontologie ») destiné notamment à faire oublier que la plupart des pratiques en question ne sont pas reconnues et qu’elles interviennent en dehors de tout cadre légal,
• par la revendication de compétences acquises au cours d’études longues et exigeantes, alors que beaucoup le sont au bout de quelques semaines voire de quelques jours seulement,
• par l’utilisation d’un langage émaillé de références scientifiques, visant à donner l’impression d’une technologie rassurante, fruit d’une recherche pointue dont on donne en quelque sorte la primeur au « client », tandis qu’aucune expérience scientifique ne vient étayer les thèses avancées,
• par la mise en place d’une ambiance médicale (cabinet aux allures cliniques, blouses blanches, etc.), bien que de nombreux praticiens n’aient aucune formation médicale.
-       La multiplication des promesses :
Salut, pouvoir, promotion, bien-être, santé, guérison, réussites en tous genres. On touche ici du doigt la croyance au miracle ou — comme l’évoquent Jean-Pierre Jougla, Catherine Picard, Philippe-Jean Parquet (professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l’université de Lille, spécialiste de l’emprise mentale), Guy Rouquet (président de l’association Psychothérapie Vigilance) ou encore Olivier Hertel (journaliste à Sciences et Avenir) — à la « pensée magique », dont les pratiques « ne reposent sur aucun cadre déontologique, sur aucun protocole, sur aucune méthodologie [et] entraînent rapidement les personnes dans un imaginaire coupé de la réalité »[39].
-       L’infiltration des hôpitaux, de la formation professionnelle, des universités et de Pôle emploi :
Force est de constater l’introduction — pour ne pas dire l’infiltration — au sein des hôpitaux des PNCAVT. Alors que leur évaluation clinique dans le cadre de protocoles de recherche n’est absolument pas institutionnalisée, que ces thérapies ne sont le plus souvent étayées par aucune connaissance scientifique et qu’il n’existe aucun suivi du recours des patients à celles-ci une fois sortis, la commission sénatoriale s’inquiète de cette introduction et du danger qu’elle comporte « de conférer d’emblée une notoriété et une crédibilité à ces techniques », en plus « d’une forme de reconnaissance et donc d’approbation »[40]. Elle partage donc les recommandations des rapports du Comité d’orientation en matière de médecines complémentaires et de l’Académie nationale de médecine précités.
Par ailleurs, la Miviludes signale dans son guide Savoir déceler les dérives sectaires dans la formation professionnelle que « si la diversité des organismes de formation est une chance, elle constitue aussi une opportunité et une cible privilégiée pour les mouvements à caractère sectaire cherchant à acquérir de nouvelles ressources financières, à recruter de nouveaux adeptes et à conquérir des parts d’influence dans les entreprises ou les administrations »[41]. Si le législateur et la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ont récemment opéré des efforts réels pour mieux contrôler le champ de la formation professionnelle[42], le domaine de l’enseignement supérieur semble avoir été oublié, alors même qu’il constitue un champ de formation continue. Faute de contrôle de l’État du fait de l’autonomie des universités, la question des diplômes universitaires (DU) est source de dérives. La commission sénatoriale regrette à ce propos « qu’aucun recensement systématique des DU ne soit réalisé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche »[43]. Enfin, point d’orgue de cet imbroglio, Pôle emploi valide implicitement ces formations ambiguës par l’utilisation de codes ROME[44] qui leur sont dédiés.

3-    Une technique commune : l’emprise mentale

Propre à l’ensemble des dérives sectaires, quel que soit le milieu dans lequel ces dernières sévissent, l’emprise mentale procède « d’un mécanisme très curieux de rencontre entre la pathologie du gourou — désir de puissance, ratage affectif ou professionnel — et ce que recherche son adepte »[45].
Si, comme nous le verrons, elle s’avère difficile à objectiver pour les juristes[46], elle n’en reste pas moins une cruelle réalité que les psychologues, psychanalystes, médecins psychiatres et conseillers écoutant des associations d’aide aux victimes connaissent bien.
Définie par le CCMM dans son guide Combattre les dérives sectaires : analyser et comprendre l’emprise mentale[47], celle-ci est un « mécanisme […] destiné à ôter toute capacité de discernement à la personne et à l’amener à prendre des décisions qu’elle n’aurait pas prises autrement », basé cliniquement sur une triple technique : cognitive, affective et comportementale, « ceci à des fins perverses de conditionnement, de contrainte morale, psychologique, physique et, quelquefois, sexuelle et d’escroquerie ». Ce mécanis-   me — décortiqué par le Docteur Jean-Marie Abgrall, psychiatre, dans un article publié en juillet 2000 dans la revue Actualité en psychiatrie et intitulé La manipulation mentale : mythe médiatique ou réalité psychiatrique ?[48] — se développe en trois temps : séduction, dépersonnalisation, reconstruction d’une nouvelle identité automatisée. C’est un processus particulier et complexe qui tend à priver la ou les futures victimes de leurs facultés de discernement et de libre décision.
Pour les besoins opérationnels des enquêteurs et experts, Philippe-Jean Parquet, professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l’université de Lille et spécialiste de l’emprise mentale, a établi une définition de l’emprise mentale en neuf critères, validés par la commission sénatoriale et destinés à asseoir un diagnostic dans une démarche comparable à celle du traitement des pathologies mentales. Cinq d’entre eux suffisent mais sont nécessaires pour identifier une dérive sectaire et un état d’emprise mentale :
1. rupture avec le comportement antérieur (conduite, jugements, valeurs, sociabilité individuelle, familiales et collectives),
2. occultation des repères antérieurs, rupture dans la cohérence avec la vie antérieure et remodelage de la vie (affective, cognitive, relationnelle, morale et sociale) de la personne imposé par un tiers,
3. adhésion et allégeance inconditionnelle, affective, comportementale, intellectuelle, morale et sociale à une personne, un groupe ou une institution, conduisant à une délégation permanente à un modèle imposé,
4. mise à disposition complète, progressive et extensive de sa vie à une personne ou à une institution,
5. sensibilité accrue dans le temps aux idées, aux concepts, aux prescriptions, aux injonctions et ordres, à un corpus doctrinal avec éventuellement mise au service de ceux-ci dans une démarche prosélyte,
6. dépossession des compétences d’une personne avec anesthésie affective, altération du jugement, perte des repères, des valeurs et du sens critique,
7. altération de la liberté de choix,
8. imperméabilité aux avis, attitudes, valeurs de l’environnement avec impossibilité de se remettre en cause et de promouvoir un changement,
9. induction et réalisation d’actes gravement préjudiciables à la personne, ces actes n’étant plus perçus comme dommageables ou contraires aux modes de vie et valeurs habituellement admis dans notre société.
Au vu de ses éléments, l’emprise mentale a donc pour mission de mettre les personnes dans l’état psychologique susvisé et d’utiliser celui-ci au bénéfice de l’organisation sectaire. Elle constitue une « mise en place d’un état psychologique nouveau, induit », couplé à « l’utilisation de certains procédés, de certaines modalités relationnelles, affectives et intellectuelles », eux-mêmes animés par « une intentionnalité d’asservissement, de se servir d’autrui » [49].
En somme, l’emprise mentale vise à installer les personnes visées dans un état de « soumission librement consentie » voire de « soumission à l’autorité », deux concepts bien connus de la psychologie sociale, et respectivement développés par Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois d’un côté, et Stanley Milgram de l’autre. La première, s’apparentant à une manipulation, décrit de manière expérimentale la conséquence d’un procédé de persuasion qui conduit à donner l’impression aux individus concernés qu’ils sont les auteurs de certaines décisions[50] et [51] ; quant à la seconde, elle évalue le degré d’obéissance d’un individu devant une autorité qu’il juge légitime et analyse le processus de soumission à cette dernière, notamment quand elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience au sujet[52]. Si la première n’a pour objectif que de conduire une personne à prendre plus rapidement et plus facilement une décision qui peut ou non lui être bénéfique (mais qui est surtout favorable à celui qui use de cette méthode), la seconde place l’individu dans ce que Milgram nomme un état « agentique », dans lequel ce dernier perd son autonomie, délègue totalement sa responsabilité à l’autorité et se transforme en « agent exécutif d’une volonté étrangère ».

4-    Des dangers accrus

Nous l’avons vu, la Miviludes a identifié une liste de dix dangers, initialement dégagés par les Renseignements généraux, puis complétés par les commissions d’enquête parlementaires qui ont travaillé sur le phénomène :
-       Cinq dangers pour l’individu, que sont :
       la déstabilisation mentale
       des exigences financières exorbitantes
       la rupture de l’adepte avec son environnement d’origine
       l’atteinte à l’intégrité physique des adeptes
       l’embrigadement des enfants
-       Cinq dangers pour la collectivité, que sont :
       un discours clairement antisocial
       des troubles à l’ordre public
       l’importance des démêlés judiciaires
       le détournement des circuits économiques traditionnels
       les infiltrations ou tentatives d’infiltration des pouvoirs publics
La Miviludes utilise ces dangers ostensibles soit comme indices de nature à mettre en garde quant à une possible dérive sectaire (le caractère exorbitant des exigences financières, les troubles à l’ordre public, l’importance des démêlés judiciaires, l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels, les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics ou le discours clairement antisocial) soit comme critères caractérisant spécifiquement la dérive sectaire (la déstabilisation mentale, la rupture induite avec l’environnement d’origine, les atteintes à l’intégrité physique ou l’embrigadement des enfants).
Le diagnostic de dérive sectaire — établi par les autorités ou les associations reconnues d’utilité publique — ne peut ainsi émerger que d’une conjonction significative de ces différents dangers. De leur côté, le CCMM et l’Unadfi complètent leur approche par les critères[53] publiés dans l’ouvrage La dérive sectaire d’Anne Fournier, historienne, et Michel Monroy, médecin psychiatre[54].
Bien évidemment, en plus de ces dangers spécifiques, les dérives sectaires sont susceptibles d’occasionner des infractions de droit commun à l’encontre de leurs victimes. Ainsi, les atteintes aux biens les plus fréquemment relevées par les tribunaux sont l’escroquerie, l’extorsion de fonds ou l’abus de confiance[55]. En ce qui concerne les atteintes aux personnes, les homicides ou blessures involontaires, ou la non-assistance à personne en danger ne sont pas rares[56]. Peuvent également être relevés la non-dénonciation de crimes, les violences et menaces, le proxénétisme, la corruption de mineurs et les agressions sexuelles (notamment sur mineurs).
Dans le domaine spécifique de la santé, un double risque majeur sévit : la privation de soins et la perte de chance. L’une comme l’autre peuvent avoir des conséquences dramatiques[57]. Les victimes, à l’intelligence parfaitement normale, ont en commun de s’être laissé convaincre par des médecins et des thérapeutes aux recommandations parfaitement fantaisistes, et de n’avoir pas recouru aux traitements classiques qui, seuls, étaient susceptibles d’améliorer leur état. De surcroît, l’attraction exercée par ces gourous thérapeutes peut aussi s’expliquer par un discours rassurant : il est plus facile d’attirer des « clients » atteints d’un cancer avec un traitement de vitamines et de marche au grand air qu’avec une opération pénible suivie de nombreuses séances de chimiothérapie, et ce, d’autant plus si le médecin hospitalier a annoncé ce programme de soins sans ménagement, avec maladresse et brutalité, comme cela peut arriver.
Par ailleurs, un danger méconnu sévit depuis quelques années : celui des « faux souvenirs induits ». Cette pratique est utilisée par des thérapeutes considérant que tous les problèmes existentiels rencontrés chez leurs patients sont liés à un traumatisme résultant de violences survenues dans leur petite enfance (faux souvenirs de maltraitance physique ou psychique, d’inceste, de rites sataniques ou de vies antérieures liés au chamanisme). Aussi induisent-ils, volontairement ou non, par le biais de techniques d’entretiens psychothérapeutiques, de faux souvenirs d’abus ou de maltraitances chez leur patient. Le résultat, appelé « syndrome des faux souvenirs », correspond soit à la réminiscence d’un événement qui ne s’est jamais produit, soit à la remémoration altérée d’un événement réel. Si cette technique peut s’exercer de façon collective ou individuelle, il s’agit dans un cas comme dans l’autre de dérives psychosectaires utilisant le même processus de manipulation mentale.
Enfin, un danger majeur pour les ex-adeptes est représenté par « l’après-secte ». La réinsertion sociale de ces derniers pose en effet des problèmes psychologiques importants :
       incapacité quasi-totale à prendre des décisions,
       sentiment de ne plus se connaître,
       réadaptation difficile pour retrouver une vie normale et un usage continu de ses facultés,
       sensation de vide, d’inutilité voire d’absurdité de l’existence,
       difficultés à lier de nouveaux liens d’amitié hors le groupe sectaire, incapacité à utiliser les codes sociaux,
       difficultés à affronter l’univers familial,
       difficultés à se retrouver,
       récupération difficile du discernement et du sens critique,
       états dépressifs, perte de repères.
Les sortants éprouvent des sentiments de honte, de culpabilité, de souffrance enfouie après leur retour dans la vie réelle. Ils doivent se refaire une vie. Souvent, ils n’ont plus d’amis, plus de relations avec leur famille depuis leur entrée en secte, plus de logement, de métier… rien sauf des dettes. Parfois, la secte peut même détenir des « secrets » sur la personne : l’ex-adepte peut alors craindre le chantage.



CONCLUSION DU I : LIBERTÉ THÉRAPEUTIQUE, THÉORIE DU COMPLOT, RELATIVISME ET SOCIÉTÉ FACILITATRICE, UN COCKTAIL DÉTONNANT

La liberté thérapeutique est le mot d’ordre d’opposition radicale à une médecine présentée comme « officielle », comme si ce seul fait la rendait suspecte, et est partagé par nombre de praticiens de techniques thérapeutiques non validées qui paraissent souvent échapper à la moindre rationalité[58].
Dans un pays comme le nôtre où la liberté thérapeutique est de fait respectée, nous pouvons nous étonner de la violence et de l’omniprésence de cette revendication, qu’il s’agisse des choix vaccinaux ou du libre recours à toutes les thérapies présentes sur le marché, fussent-elles ésotériques et douteuses.
Cette revendication s’inscrit dans le cadre général de la théorie du complot qui, comme nous l’évoquions, est l’un des arguments-phares de recrutement des groupes sectaires, tous milieux confondus. Peter Knight, maître de conférences en littérature américaine auprès de l’Université de Manchester, écrit dans son ouvrage Conspiracy Theories in American History : An Encyclopedia[59] que cette théorie « se prétend cohérente et cherche à démontrer l’existence d’un complot entendu comme le fait qu’un petit groupe de gens puissants se coordonne en secret pour planifier et entreprendre une action illégale et néfaste affectant le cours des évènements ». Couplée au « relativisme ambiant » dénoncé par Jean-Pierre Jougla[60] — pour lequel « tout se vaut », les superstitions devenant de facto aussi valides que les sciences — et à la « société facilitatrice » décrite par Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste victimologue, dans son ouvrage Abus de faiblesse et autres manipula-   tions[61] — selon laquelle nos contemporains n’ont jamais été autant disposés à croire tout et n’importe quoi —, l’ensemble forme un cocktail détonnant, un maelström au sein duquel s’engouffrent ceux qui, comme le disait le Professeur Claude Olievenstein, psychiatre français spécialisé dans le traitement de la toxicomanie, font la rencontre de la mauvaise personne au mauvais moment, alors même qu’un événement malheureux les a rendus particulièrement vulnérables. Potentiellement nous tous.
Malheureusement, nous allons voir que face à ce phénomène, la réponse des pouvoirs publics, qu’elle soit administrative, disciplinaire, législative ou judiciaire, s’avère globalement insuffisante. Mais nous allons également voir que cette réponse peut être considérablement améliorée par la sollicitation d’un acteur-clef en la matière : le détective privé.


[1] Sénat (2013), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé – n° 480 – Tome II : procès-verbaux des auditions, Paris : Palais du Luxembourg, p. 456.
[2] Miviludes (2012), Guide Santé et dérives sectaires, Paris : Direction de l’information légale et administrative (DILA), p. 11 (La Documentation française).
[3] Issue de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État, prévoyant que le culte soit organisé par le régime juridique des associations cultuelles, lesquelles sont des associations à but non lucratif selon la loi de 1901 soumises à un régime spécifique.
[4] François Pignier (2011), Les dérives sectaires face au droit français, Paris : Centre contre les manipulations mentales – Centre Roger Ikor, p. 22.
[5] Ibid., p. 24.
[6] Audition de M. Jean-Pierre Jougla, coresponsable du diplôme universitaire Emprise sectaire, processus de vulnérabilité et enjeux éthiques auprès de la faculté de médecine de l’université Paris V, op. cit., p. 69.
[7] Miviludes (2012), Guide Santé et dérives sectaires, op. cit., p. 11.
[8] Ibid., p. 6.
[9] Audition de M. Patrick Hefner, conseiller du directeur général de la police nationale, chef du pôle judiciaire prévention et partenariats, op. cit., p. 351.
[10] Le guide s’adresse aussi bien aux professionnels de la santé qu’aux particuliers confrontés aux situations de ce type.
[11] Georges Fenech a instruit le premier grand procès impliquant la Scientologie à Lyon en 1994. Cette enquête a abouti à un procès en 1996, au terme duquel plusieurs de ses dirigeants ont fait l’objet de condamnations.
[12] Audition de M. Serge Blisko, président de la Miviludes, op. cit., p. 11 ; audition de Mme Anne Guibert, présidente du CCMM, op. cit., p. 95.
[13] Lequel n’est pas propre au seul milieu de la santé et que nous aborderons en détail dans un prochain chapitre.
[14] Miviludes (2012), Guide Santé et dérives sectaires, op. cit., p. 14.
[15] Audition de M. Serge Blisko, président de la Miviludes, op. cit., p. 11.
[16] Voir l’annexe I, Liste non exhaustive des PNCAVT établie par la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé à l’occasion de son rapport d’information n° 480 du 3 avril 2013 « Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger ».
[17] Comité d’orientation en matière de médecines complémentaires (2012), Médecines complémentaires à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), 119 p.
[18] Académie nationale de médecine (2013), Rapport fait au nom d’un groupe de travail de la commission XV : Thérapies complémentaires – acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi – leur place parmi les ressources de soins, p. 2.
[19] Sénat (2013), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé – n° 480 – Tome I : rapport, Paris : Palais du Luxembourg, 318 p.
[20] Voir l’annexe II, L’héritage du New Age dans le message des organisations revendiquant la liberté thérapeutique.
[21] Sénat (2013), op. cit., p. 7.
[22] Assemblée nationale (1995), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les sectes – n° 2468 – Xe législature, Paris : Palais Bourbon, 82 p.
[23] Assemblée nationale (1999), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers – n° 1687 – XIe législature, Paris : Palais Bourbon, 343 p.
[24] Assemblée nationale (2006), Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs – n° 3507 – XIIe législature, Paris : Palais Bourbon, 213 p.
[25] Alain Vivien (1985), Les sectes en France : expressions de la liberté morale ou facteurs de manipulations ? – Rapport au Premier ministre, Paris : La documentation française, 141 p.
[26] Une tentative de définition, pour le moins exotique, de la « conscience-énergie » a été fournie par Jean Belmont dans son ouvrage Phénomènes paranormaux : explications scientifiques ou faits avérés ? (2007, Paris : La Compagnie Littéraire), à savoir : « La conscience-énergie est à la base de nos cellules. Notre univers est issu de la lumière. Cette dernière est constituée d’ondes électromagnétiques. Ce champ immatériel qui est acausal et spinoriel constitue le réservoir d’énergie qui en se différenciant donne tout ce qui existe. » On retrouve ici le paradoxe qui caractérise les PNCAVT et leurs praticiens, pointé du doigt par le rapport sénatorial de 2013 et que nous aborderons plus tard : la référence à la nature et à la tradition sous un habillage pseudo-technologique voire pseudo-scientifique.
[27] Voir l’annexe II, L’héritage du New Age dans le message des organisations revendiquant la liberté thérapeutique.
[28] Eugénie Bastié et Anne-Clémentine Larroque (2014, 8 août), Hamas, Frères musulmans, djihadistes : les différents visages de l’islamisme [en ligne], Paris : FigaroVox/Le Figaro.fr,
[29] Audition de M. Serge Blisko, président de la Miviludes, op. cit., p. 10.
[30] Audition de Mme Anne Guibert, présidente du CCMM, op. cit., p. 95.
[31] Sénat (2013), op. cit., p. 13.
[32] Audition de Me Daniel Picotin, avocat spécialisé en droit des dérives sectaires, op. cit., p. 456.
[33] Voir l’annexe III, Deep Web, Dark Web, les parties immergées d’Internet.
[34] Sénat (2013), op. cit., p. 10.
[35] Audition de Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, op. cit., p. 126-127.
[36] Audition de M. Jean-Pierre Jougla, coresponsable du diplôme universitaire Emprise sectaire, processus de vulnérabilité et enjeux éthiques auprès de la faculté de médecine de l’université Paris V, op. cit., p. 66.
[37] Sénat (2013), op. cit., p. 83.
[38] Audition de Mme Catherine Picard, présidente de l’Unadfi, op. cit., p. 40.
[39] Audition de Mme Catherine Picard, présidente de l’Unadfi, op. cit., p. 46.
[40] Sénat (2013), op. cit., p. 103 et 105.
[41] Miviludes (2012), Guide Savoir déceler les dérives sectaires dans la formation professionnelle, Paris : Direction de l’information légale et administrative (DILA), p. 3-4 (La Documentation française).
[42] Près d’un organisme contrôlé sur trois a vu tout ou partie de son activité exclue du champ de la formation professionnelle. La DGEFP note un effet dissuasif avec une baisse d’environ 20 % du nombre d’organismes inscrits dans les champs du développement personnel et des formations comportementales entre 2010 et 2011.
[43] Sénat (2013), op. cit., p. 144.
[44] Le Répertoire opérationnel des métiers et des emplois ou ROME est un répertoire créé en 1989 par l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi), aujourd’hui Pôle emploi en France. Il sert à identifier aussi précisément que possible chaque métier. Ce répertoire comprend plus de 10 000 appellations de métiers et d’emplois. Cette nomenclature et la codification du ROME sont utilisées par d’autres organismes publics ou privés traitant de l’emploi.
[45] Audition de Me Daniel Picotin, avocat spécialisé en droit des dérives sectaires, op. cit., p. 453.
[46] Ce qui n’est pas sans poser nombre de problèmes juridiques et judiciaires, que nous aborderons en deuxième partie.
[47] CCMM (2011), Combattre les dérives sectaires : analyser et comprendre l’emprise mentale, Paris : CCMM-Centre Roger Ikor, 34 p.
[48] Jean-Marie Abgrall (2000), La manipulation mentale : mythe médiatique ou réalité psychiatrique ?, in Actualité en psychiatrie, Suresnes : Ardix Médical.
[49] Audition de M. Philippe-Jean Parquet, professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l’université de Lille, spécialiste de l’emprise mentale, op. cit., p. 131-132.
[50] Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois (2014), Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Grenoble : PUG, 318 p.
[51] Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois (2010), La soumission librement consentie : Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ?, Paris : PUF, 214 p.
[52] Stanley Milgram, Expérience sur l’obéissance et la désobéissance à l’autorité, Paris : Zones, 172 p.
[53] Voir l’annexe IV, Les caractéristiques qui peuvent permettre d’établir un diagnostic de dérive sectaire, par Anne Fournier et Michel Monroy in « La dérive sectaire » Paris, PUF, 1999.
[54] Anne Fournier, Michel Monroy (1999), La dérive sectaire, Paris : PUF, 234 p.
[55] À titre d’exemple, le 2 février 2012, la Cour d’appel de Paris a condamné le « Celebrity Centre » et sa librairie SEL, les deux principales structures de la Scientologie française, à 600 000 euros d’amende pour escroquerie en bande organisée.
[56] La Cour d’assises de Quimper a ainsi condamné le 3 juin 2005 des parents adeptes d’une pratique thérapeutique non réglementée (la kinésiologie), à cinq ans d’emprisonnement dont cinquante-deux mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans pour non-assistance à personne en danger, à la suite du décès de leur enfant. Plus récemment encore, en 2011, après le décès d’une enfant âgée de onze mois des suites d’un régime alimentaire inadapté, des parents végétaliens ont été condamnés à cinq ans d’emprisonnement dont trente mois avec sursis par la Cour d’assises de la Somme.
[57] Nous ne multiplierons pas les témoignages, nombreux, mais pouvons citer à titre d’exemple tristement éloquent l’ouvrage de Nathalie De Reuck On a tué ma mère ! Les charlatans de la santé (2010, Paris : Buchet/Chastel), à travers lequel la journaliste relate les conséquences de traitements prodigués par des praticiens de la biologie totale sur sa mère, atteinte d’un cancer du sein dont elle mourra, et qui fut soignée successivement par :
- un kinésiologue-ostéopathe suggérant à la malade de ne pas se soigner au motif que le kyste serait la manifestation du conflit qui l’oppose à son mari ; il propose d’éliminer la tumeur par drainage puis de désinfecter le sein malade au jus de citron. Selon cet ostéopathe, la douleur effroyable dont la malade se plaint de manière croissante ne serait que le signe d’une maladie qui disparaîtrait si elle quittait son mari ;
- un autre thérapeute, qui suggère l’argile et l’eau salée ;
- deux homéopathes qui prescrivent pour leur part des granules ;
- une thérapeute guérisseuse par téléphone ;
- une spécialiste des chakras qui promet la guérison en une séance grâce au « travail des énergies avec les mains ».
Le livre de Nathalie De Reuck, coécrit avec le documentariste Philippe Dutilleul, fut précédé d’un documentaire qui avait marqué les téléspectateurs belges en 2009, Mort biologique sur ordonnance téléphonique, disponible à l’adresse suivante : http://www.rtbf.be/video/detail_tout-ca-ne-nous-rendra-pas-le-congo?id=902563.
[58] Lors de son audition devant la commission sénatoriale, le représentant du Centre d’information et de conseil des nouvelles spiritualités (CICNS) a assimilé la revendication de la liberté thérapeutique à la revendication de la fin de la lutte contre les dérives sectaires conduite en France : « La liberté thérapeutique est mise en péril par cette lutte tous azimuts contre les dérives sectaires par l’entremise de la Miviludes. » Comme le CICNS, la Coordination des associations de particuliers pour la liberté de conscience (CAPLC) fait de la liberté thérapeutique une liberté fondamentale, si l’on en juge par les mots d’ordre affichés sur la page d’accueil de son site : « Liberté de conscience - liberté de religion - liberté thérapeutique - liberté de pensée - liberté de culte. » La conclusion de la brochure de la CAPLC intitulée Les « sectes » : un non-problème (2011) confirme ce glissement de la minorité spirituelle à la minorité thérapeutique en assimilant la lutte contre les dérives sectaires en France à la lutte contre « l’ensemble des mouvements non conformistes tels que : le bio, le développement personnel, les mouvements thérapeutiques et les groupes spirituels et religieux ». Pour en savoir plus sur le CICNS et la CAPLC, voir l’annexe V, Deux associations représentant les « nouveaux mouvements spirituels » : CAPLC et CICNS.
[59] Peter Knight (2003), Conspiracy Theories in American History : An Encyclopedia, Santa Barbara : ABC-CLIO, 925 p.
[60] Audition de M. Jean-Pierre Jougla, coresponsable du diplôme universitaire Emprise sectaire, processus de vulnérabilité et enjeux éthiques auprès de la faculté de médecine de l’université Paris V, op. cit., p. 67.

[61] Marie-France Hirigoyen (2012), Abus de faiblesse et autres manipulations, Paris : JC Lattès, 300 p.

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